Les murs qui séparent les hommes ne montent pas jusqu’au ciel

 

 

Ce livre tente de proposer un chemin pour se libérer des crispations mentales qui empêchent l’humanité de dialoguer et de se rencontrer. Cherchant à comprendre les mécanismes qui conduisent à l’indifférence ou aux oppositions malheureuses, il vise en même temps à proposer les conditions d’une rencontre riche et vivante avec les autres et avec le monde. Loin des fausses certitudes ou des identifications réductrices, il invite chacun à ne pas faire de sa maison un lieu sans portes ni fenêtres.

Partout nous voyons surgir ou resurgir autour de nous des groupes qui prétendent être dans le camp du bien, tantôt de manière violente tantôt de manière sournoise. Minoritaire ou majoritaire, la logique est toujours la même :  faire taire ou couper des têtes, symboliquement ou réellement.

L’écologie nous parle de la pollution de la terre, des eaux, de l’air. Ce livre porte sur une autre source de pollution : celle qui dans notre cœur et notre intelligence empoisonne nos relations. L’urgence est toute aussi grande car il en va là aussi du devenir de l’humanité et du devenir de l’humain en l’homme.

A l’heure des crispations identitaires et des replis en communauté de vérité, il devient essentiel de renouer avec le sens de l’universel.

A l’heure d’un relativisme mortifère ou à l’inverse d’une forme de confiscation des valeurs universelles, il devient essentiel de repenser notre rapport à la vérité et au bien.

La tolérance n’est pas un bien mais un moindre mal qui ne fait qu’appeler paix une guerre qui se cache. L’être humain est amené à aller plus loin que la tolérance en apprenant à ne pas devenir l’idolâtre de ses propres idées et à reconnaître à la lumière de Pascal que « l’erreur est l’oubli de la vérité contraire ». Cet acte décisif qui exige de se désidentifier de ses idées est la condition d’un vrai dialogue. Cet aptitude à regarder plus haut que nos barrières mentales est également fondamental pour apprendre à affronter le mal d’où qu’il vienne, du dehors ou du dedans. La voie au service de l’humain, en l’homme, en nous, est ardue. De chaque côté, un précipice, celui du relativisme et celui de l’ethnocentrisme. Nous n’avons pas le choix. Il faut le prendre.

 

Sommaire

Prélude ……………………………………………………………………9

Chapitre 1 Le tissu déchiré de l’humanité ………………………………….13

Chapitre 2 Vivre le sens de l’universel : contre les relativismes ……….39

Chapitre 3 Devenir humain : contre la sécheresse de l’intelligence et du cœur ……………….71

Chapitre 4 Habiter une maison ouverte : contre le repli sur soi et l’idéologie de la pureté ……99

Chapitre 5 Élargir les horizons : contre le dogmatisme et le réductionnisme ………………….137

Ouverture ……………………………………………………………181

 

Prélude

« Les murs qui séparent les hommes ne montent pas jusqu’au Ciel. » Si cette phrase a une attribution multiple, je crois pour ma part qu’elle ne trouve pas son origine quelque part dans l’espace et le temps, mais plutôt quelque part dans le cœur de chaque être humain. Elle vient de l’appel en chacun à dépasser les limites étroites de son intelligence et à s’éveiller à ce qui est beaucoup plus grand que ses certitudes. Elle est un appel à préférer la vérité à l’idée que chacun se fait de la vérité, et surtout à préférer les êtres humains aux idées. Elle n’appartient à personne en propre, mais chacun est appelé à la vivre, parce qu’il en va de l’humain en chacun de nous.

Il y a des murs visibles et il y a des murs invisibles.

Avant d’être une paroi– de pierre, de ciment ou de bois –, les murs sont des barrières mentales, une limitation de l’intelligence ou de la vision, une sécheresse du cœur ou une victoire de la peur.

Bien des murs nous séparent les uns des autres, dans notre tête, dans notre cœur et dans l’espace géographique de la terre. Ils sont censés nous protéger des dangers, mais ils viennent insidieusement nous emprisonner. Par crainte ou par colère, nous nous accrochons à eux, pourtant ils nous enferment dans un espace trop petit pour notre avenir. Les murs bouchent nos horizons. Ils nous coupent du soleil levant et du soleil couchant, de l’espoir et de la promesse.

La vie exige de nous bien davantage. Parce qu’elle veut nous voir grandir, elle nous invite à percer des ouvertures pour rencontrer l’inconnu et l’incertain. C’est pourquoi nos enfants ne pourront rester entre les murs que nous avons construits, même si nous les persuadons que cette prison est un Paradis.

En même temps, vivre dans ce monde, c’est habiter l’univers des limites et des formes. La première limite est celle de notre corps. Nous sommes tous des êtres de quelque part, avec une langue, une culture, une éducation données, avec des convictions qui se sont forgées au fil du temps et qui font en partie notre identité. C’est à travers ces limites et la singularité de notre existence que la vie peut dessiner un chemin.

Le monde que nous habitons n’est pas non plus un monde d’anges. C’est pourquoi nous avons besoin de nous protéger. Pour nous prémunir du danger, nous construisons des défenses qui peuvent nous donner l’illusion qu’il est possible de vivre comme dans l’innocence du jardin d’Éden. Nous pouvons repousser certaines limites, mais nous ne pouvons pas nous en passer.

Aucune vie, d’ailleurs, ne peut se déployer sans une distinction entre un intérieur et un extérieur. La moindre cellule est enveloppée dans une membrane qui tout à la fois lui donne une identité propre et assure sa pérennité. C’est donc une illusion de croire que nous pouvons nous passer de toute limite, mais c’en est une aussi de croire que nous sommes d’autant plus protégés que cette limite aura l’épaisseur et l’opacité d’un mur. La paroi protectrice de la cellule ne peut remplir sa fonction – qui est d’être au service de la vie – que parce qu’elle permet une circulation entre l’intérieur et l’extérieur. La membrane d’une cellule et la surface de nos corps sont à la fois une barrière qui nous protège et un lieu d’échange sans lequel c’est l’asphyxie et la mort.

Chaque fois que la vie commence à se retirer, quelque chose commence à se rigidifier. Ce qui était un lieu d’échange et de transformation devient une matière dans laquelle plus rien ne circule, où plus rien ne respire. Dès que l’identité se ferme, se fige et se replie nostalgiquement vers un passé perdu, elle est condamnée à périr. Toute maison doit avoir des portes et des fenêtres si elle veut abriter la vie.

Pour nous libérer des murs qui nous étouffent ou nous séparent inutilement, il nous faut comprendre ce qui nous conduit à en construire autant. D’où naissent ces murs qui jettent tant d’ombres sur nos vies, mettent tant de poisons dans nos relations ? Ce livre vise à mettre en lumière les différentes barrières mentales qui empêchent les êtres humains de se rencontrer, de s’écouter et de se comprendre, celles-là même qui les empêchent aussi de grandir et de se réaliser dans le cheminement, toujours singulier, de leur vie. Il cherche également à proposer des orientations pour aller plus loin qu’une forme de paix qui n’est qu’une guerre cachée.

À l’heure où les crispations identitaires et les replis communautaires semblent grandir, comment construire des ponts au-dessus des murs ? À l’heure où la cacophonie des idées et des valeurs semble rendre plus difficile l’opportunité d’un monde commun, comment penser un universel qui fasse sens et ne soit pas une uniformisation du monde ? Comment surmonter le mélange d’arrogance, d’ignorance et de peurs qui produisent les rendez-vous manqués ?

S’il évoque souvent le rapport à l’altérité, ce livre invite d’abord à interroger non pas ce que nous regardons mais la manière dont nous le regardons, non pas ce que nous croyons mais notre rapport à ce que nous croyons. Plutôt qu’une exploration du domaine de nos convictions et de nos croyances, il se veut une invitation à les regarder avec un peu de hauteur.